Appel à l’action du RNFLI

COVID-19 : Une crise de genre qui affecte particulièrement les femmes et les personnes de diverses identités de genre sans-abri et en recherche de logement

 

COVID-19 est une crise qui a un sexe. Bien que le virus lui-même ne fasse pas de discrimination, les inégalités systémiques auxquelles sont confrontées les femmes et les personnes de diverses identités de genre font que notre expérience de cette pandémie est unique. Les actions prises pour répondre à la pandémie doivent prendre en considération le parcours et le profil des personnes de diverses identités de genre en situation d’itinérance.

La situation de l’itinérance chez les femmes au Canada était déjà préoccupante avant l’arrivée de COVID-19. Représentant environ la moitié de la population des personnes sans-abri au Canada, notre expérience de l’itinérance est définitivement genrée. Les femmes sont plus susceptibles de vivre sous le seuil de la pauvreté et d’occuper des emplois au salaire minimum, ce qui signifie que beaucoup d’entre nous risquent d’être licenciées et de vivre sur de minces économies. Nous vivons de façon disproportionnée dans des conditions de logement précaires, nous sommes à la tête de familles monoparentales et nous devons assumer la charge de la garde des enfants, ce qui nous expose au risque d’être expulsées lorsque nous sommes confrontées au choix impossible de payer le loyer ou de nourrir nos enfants.

Pour beaucoup de femmes et de personnes de diverses identités de genre, la directive de « rester chez soi » signifie que nous sommes piégées avec des partenaires ou d’autres personnes abusives et violentes. Dans la rue, nous craignons non seulement d’être exposées à la COVID-19, mais aussi de subir de profondes violences sexuelles et physiques. Nombre de ces défis sont amplifiés pour ceux qui sont confrontés à plusieurs formes de marginalisation, notamment les femmes autochtones, les femmes transgenres, les femmes nouvellement arrivées, les personnes 2SLGBTQ2+, les femmes de couleur et les femmes handicapées. Les personnes de diverses identités de genre sont également confrontées à des problèmes de logement distincts et graves.

Dans le contexte de cette pandémie, l’accès à un logement adéquat et sûr peut faire la différence entre la vie et la mort pour beaucoup d’entre nous – que nous ayons contracté le virus ou non.

Le système de refuges d’urgence au Canada n’a pas été conçu pour répondre à la diversité au niveau des genres et aux besoins des femmes en situation d’itinérance. Nous craignons pour notre sécurité dans les refuges mixtes, ainsi que le retrait de nos enfants de leur milieu familial par les autorités de protection de l’enfance lorsque nous rejoignons ces espaces. De nombreux refuges avec des critères d’accès élevés dissuadent les femmes d’y accéder.

Les recherches révèlent également que les refuges pour personnes sans-abri et pour victimes de violence domestique ont systématiquement fonctionné au maximum de leur capacité (ou au-delà) et que les femmes ont du mal, de façon disproportionnée, à accéder à un logement abordable au Canada. Pour ces raisons et d’autres encore, beaucoup d’entre nous sont obligées de dormir sur le divan d’une connaissance, d’échanger des faveurs sexuelles contre un logement ou de vivre dans la rue, ce qui met notre sécurité en péril. Cela touche particulièrement les femmes autochtones, surreprésentées dans les populations de personnes sans-abri, étant donné le lien évident entre l’itinérance et le nombre de femmes autochtones disparues et assassinées au Canada. L’héritage du colonialisme et des pensionnats crée des obstacles pour les femmes autochtones qui recherchent sécurité et soutien, les exposant ainsi à un risque accru de violence et d’exploitation.

COVID-19 a considérablement aggravé les difficultés auxquels les femmes et les personnes de diverses identités de genres sont confrontées en matière de logement. Alors que nous constatons une augmentation de la pauvreté, des expulsions et de la violence domestique, nous craignons que nos communautés soient confrontées à de profondes souffrances et que des vies soient perdues.

Ces réalités exigent une réponse à la COVID-19 qui tienne compte de la diversité au niveau des genres et des vulnérabilités uniques des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre en situation d’itinérance ou logées de façon précaire. Cette réponse doit aussi comprendre le vaste continuum des femmes et personnes de diverses identités de genre ayant une expérience vécue de l’itinérance. Cette réponse doit être conçue par des personnes ayant une expérience vécue dans divers contextes.

Étant donné la place centrale qu’occupe le logement dans toute réponse efficace à une pandémie, le Canada a une occasion sans précédent de mettre fin à l’itinérance chez les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre. Le Réseau national des femmes pour le logement et la fin de l’itinérance encourage tous les niveaux de gouvernement à saisir cette occasion. Nous applaudissons l’investissement de 157 millions de dollars du gouvernement du Canada dans le programme Vers un chez-soi, ainsi que les 50 millions de dollars destinés spécifiquement aux refuges pour femmes et aux centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle. Ce sont des investissements qui sauvent des vies, et nous espérons que ces investissements seront conformes à l’approche ACS+ de Vers un chez-soi.

Cependant, il y a un besoin immédiat d’en faire plus.

Le Réseau national des femmes pour le logement et la fin de l’itinérance demande à tous les niveaux du gouvernement canadien d’adopter d’urgence les mesures suivantes pour protéger de façon équitable les femmes, les filles, les enfants et les personnes de diverses identités de genre en situation d’itinérance pendant cette pandémie :\

  1. Fournir immédiatement un logement sûr aux femmes, aux filles, aux enfants et aux personnes de diverses identités de genre en situation d’itinérance et/ou qui fuient la violence, notamment en utilisant des hôtels, des motels, des bureaux et d’autres propriétés.
  • Il est clair que la manière la plus efficace de faire face à la COVID-19 est en fournissant immédiatement un logement à toutes les personnes qui ont un logement précaire ou sont en situation d’itinérance. Cela peut être réalisé en obtenant des unités ou des bâtiments vacants pour fournir un logement d’urgence, en s’assurant que ces espaces sont sûrs, en tenant compte des besoins d’accès des personnes handicapées et en fournissant des espaces et des programmes appropriés pour les enfants. Les résidents doivent bénéficier de mesures de soutien telles que : l’accès à des aliments nutritifs, des articles d’hygiène, des soutiens sociaux et des ressources pour les aider dans leur vie quotidienne (par exemple, des billets de transport). Conformément aux recommandations de la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à un logement convenable, nous encourageons le gouvernement à acheter ou à exproprier des bâtiments ou des unités qui peuvent ensuite être réaffectés, avec le temps, en des logements sociaux à long terme. Il est essentiel qu’après la fin de la pandémie, toutes les personnes qui ont reçu un logement pendant cette crise se voient garantir un logement permanent, plutôt que de retourner à la rue.
  • Là où les refuges d’urgence pour les personnes sans-abri et les victimes de violence domestique continuent à fonctionner comme mesure immédiate pendant la pandémie, ces espaces doivent être améliorés pour empêcher la propagation de COVID-19. Ces mesures devraient comprendre : l’amélioration des protocoles de nettoyage, l’augmentation des effectifs, l’équipement de protection individuelle (EPI) pour tout le personnel, la création d’espaces d’auto-isolement (dans les espaces existants ou nouveaux), l’adoption de mesures permettant la distanciation physique (par exemple en éloignant les lits de camp) et une meilleure collaboration avec les services de santé publique. Au sein des communautés qui ne disposent pas de refuges adéquats pour les personnes sans-abri ou les victimes de violence domestique, il est essentiel que les femmes et les personnes de diverses identités de genre aient accès à des espaces sûrs 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
  1. Accroître la disponibilité de logements sûrs et adéquats pour les femmes autochtones, les filles, ainsi que pour les personnes de diverses identités de genre, de manière urgente et prioritaire, en s’assurant que tout développement et toute politique de logement soient guidés par l’autodétermination des personnes autochtones et une perspective intersectionnelle au niveau de l’identité de genre.
  • Les femmes des peuples des Premières nations, des Inuits et des Métis, ainsi que les personnes de diverses identités de genre, vivent dans les pires conditions de logement au Canada et sont confrontées aux taux les plus élevés de violence sexuelle et physique, y compris de meurtre. Les peuples autochtones sont également les plus exposés au risque de voir leurs enfants retirés de leur milieu familial et sont confrontés à d’importants obstacles pour accéder aux refuges pour personnes sans-abri et victimes de violences domestiques. Les gouvernements canadiens doivent de toute urgence et en priorité augmenter les effectifs et accroître la disponibilité de logements sûrs pour les femmes autochtones, y compris celles qui vivent dans des communautés rurales, éloignées et urbaines. Tout développement et toute politique en matière de logement doivent être autodéterminés par les peuples autochtones et guidés par une perspective intersectionnelle au niveau de l’identité de genre. Le leadership des organisations de femmes autochtones sera essentiel pour assurer des soutiens et des programmes culturellement adéquats et sécuritaires. Étant donné les taux élevés de précarité du logement et de violence à l’égard des femmes et des filles autochtones dans le Nord canadien, nous insistons sur la nécessité particulière d’investir dans des logements sûrs dans les communautés du Nord.
  1. Adopter des moratoires sur les expulsions et instaurer un gel des loyers dans tout le Canada pendant la pandémie et pendant une période raisonnable par la suite, en travaillant à tous les ordres de gouvernement pour assurer une protection cohérente dans tout le pays.
  • Faisant écho aux excellentes recommandations de nombreux organismes et groupes, nous demandons l’adoption immédiate d’un moratoire sur les expulsions et d’un gel du prix des loyers dans toutes les provinces et territoires. Étant donné que les femmes ont des besoins de logement plus importants, que les taux de pauvreté sont plus élevés et qu’elles sont confrontées à des formes genrées de harcèlement de la part des propriétaires, il est essentiel que des mesures politiques fortes soient adoptées pour s’assurer que les femmes, les enfants et les personnes de diverses identités de genre ne perdent pas leur logement pendant cette crise.
  1. Garantir un accès équitable à l’aide financière pour toutes les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre qui se retrouvent en situation d’itinérance ou de précarité de logement, y compris pour celles qui dorment dans la rue et/ou dépendent de l’économie informelle pour vivre.
  • Les gouvernements doivent supprimer les obstacles bureaucratiques vers l’accès à l’aide financière d’urgence pour les femmes et les personnes de diverses identités de genre qui sont en situation d’itinérance ou logées de façon précaire. L’absence de pièce d’identité, d’un compte de l’ARC, d’une adresse personnelle, de citoyenneté ou d’autres facteurs ne doit pas empêcher ou retarder de manière significative l’accès à l’aide financière d’urgence. Les gouvernements peuvent aider à éliminer l’itinérance en s’assurant que les femmes et les personnes de diverses identités de genre qui ont un travail précaire, à domicile, ou un emploi occasionnel, puissent accéder à une aide financière. Nous notons en particulier l’importance de l’accès à l’aide financière pour ceux qui sont engagés dans le sexe de survie, le travail du sexe, ou d’autres activités informelles étant donné que les moyens de subsistance de ces membres de la communauté sont susceptibles de changer de manière significative pendant la COVID-19.
  • Augmenter les taux d’aide sociale et d’aide aux personnes handicapées dans toutes les provinces et tous les territoires afin d’atténuer l’augmentation des coûts des produits de première nécessité, la perte de l’économie souterraine et la perte d’accès aux soutiens sociaux et aux services de garde d’enfants. Ces mesures doivent permettre aux femmes et à leurs enfants de sortir de la pauvreté et tenir compte des difficultés économiques disproportionnées auxquelles de nombreuses femmes sont confrontées en raison de la pandémie (par exemple, la perte d’emploi en raison de responsabilités accrues en matière de garde d’enfants).
  • À plus long terme, le gouvernement du Canada devrait envisager la mise en œuvre d’un revenu de base universel afin d’atténuer le ralentissement économique résultant de la COVID-19 et de se prémunir face aux défis futurs.
  1. Garantir un accès équitable et non discriminatoire au test de dépistage de la COVID-19 et aux soins de santé pour les femmes et les personnes de diverses identités de genre en situation d’itinérance, notamment par des efforts de sensibilisation accrus (par exemple, unités de test de dépistage mobiles, sensibilisation à la santé mentale).
  • Les gouvernements doivent s’assurer que le statut de logement ne constitue pas un obstacle à l’accès au test de dépistage de la COVID-19 et aux services de santé pour les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre pendant la pandémie, et que cette population est un groupe prioritaire pour les tests de dépistage. Les gouvernements doivent soutenir les initiatives communautaires visant à fournir des soins de santé, des services sociaux, des mesures de réduction des risques et des aides à la santé mentale aux personnes en situation d’itinérance pendant cette crise. Ces efforts doivent tenir compte des besoins et des priorités uniques des femmes et des personnes de diverses identités de genre en matière de soins de santé (par exemple, la mise en place de soins de santé en matière de sexualité et de reproduction pour les femmes enceintes et en situation d’itinérance).
  1. Fournir et/ou élargir les services de garde d’enfants gratuits dans tout le pays pour les femmes avec enfants vivant dans divers types de logements instables, tels que les refuges et les logements de transition, ainsi que pour les femmes qui sont considérées comme des travailleuses essentielles pendant la pandémie.
  • Les programmes de soutien et de garde d’enfants devraient être financés et amplifiés dans les refuges et les logements de transition pour soutenir les mères, en particulier compte tenu du fait que les garderies et les écoles ont fermé. Les refuges, les logements de transition et les autres logements d’urgence devraient chercher à garantir que les familles restent ensemble dans la mesure du possible, et les autorités chargées de l’enfance doivent être invitées à donner la priorité à l’aide et aux ressources plutôt qu’aux retraits du milieu familial.
  • Tout comme YWCA Canada, nous recommandons l’expansion des services de garde d’enfants gratuits pour les femmes considérées comme des travailleuses essentielles pendant la pandémie. Les travailleuses en garderie doivent recevoir une compensation financière supplémentaire et une aide d’urgence pour fournir ces services.
  1. Mettre en place des mesures d’aide alimentaire dans les refuges et les services de proximité, en veillant à ce que ces efforts répondent aux besoins des femmes, des filles et des enfants les plus marginalisés, ainsi que des personnes de diverses identités de genre.
  • Les banques alimentaires, les programmes de repas et autres programmes d’aide alimentaire sont en train de diminuer, de fermer ou de s’adapter dans le sillage de COVID-19. Les gouvernements doivent financer l’expansion des mesures d’aide alimentaire pour garantir l’accès à des aliments nutritifs adéquats, notamment par des efforts de sensibilisation accrus. Les banques alimentaires et les mesures connexes doivent être incluses dans la liste des services essentiels, et les fournisseurs doivent disposer des ressources nécessaires pour garantir la sécurité et la continuité (par exemple, l’EPI). Les mesures visant à assurer la sécurité alimentaire dans les communautés rurales, isolées et autochtones sont particulièrement cruciales étant donné que les chaînes d’approvisionnement alimentaire sont menacées et que ces communautés doivent faire face à des coûts alimentaires élevés.
  1. Mettre en place des lignes d’assistance téléphonique nationales et régionales et des réseaux de soutien en ligne pour réduire les conséquences négatives de l’isolement pour les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre ayant une expérience vécue de l’itinérance.
  • Des réseaux d’assistance en ligne et par téléphone sont nécessaires pour fournir un soutien à la fois par les pairs et par les professionnels pendant la pandémie. Les lignes téléphoniques de soutien par les pairs et les communautés en ligne pour les femmes et les personnes de diverses identités de genre ayant une expérience vécue de l’itinérance sont particulièrement précieuses et devraient être financées. Ces soutiens contribueront à atténuer les problèmes de santé mentale, la consommation de substances et les conflits interpersonnels qui pourraient autrement entraîner des hospitalisations et des charges supplémentaires pour le système de soins de santé.
  1. Former un organe consultatif national diversifié, couvrant le secteur des femmes en situation d’itinérance et le secteur de la lutte contre la VFF, pour guider et suivre les réponses politiques à la COVID-19, et pour s’assurer que les réponses sont éclairées par la diversité des identités de genre, intersectorielles, et façonnées par l’expérience vécue.
  • Nous demandons instamment au gouvernement fédéral de faire participer diverses femmes ayant une expérience vécue de l’itinérance à la prise de décisions politiques et au suivi des résultats des politiques pendant et après la pandémie. Nous recommandons la formation d’un organe consultatif national diversifié pour ce faire, en veillant à ce que cette expertise soit tirée de l’ensemble du secteur des femmes en situation d’itinérance et du secteur de la lutte contre la VFF. Un tel organe consultatif doit s’efforcer de représenter la diversité des personnes en situation d’itinérance et de la violence genrée. Les organisations de femmes autochtones et les experts en expérience vécue doivent être impliqués de manière importante.